Polantis a rencontré Vincent Bleyenheuft : Dirigeant d’agence d’architecture pluridisciplinaire, BIM Manager consultant associé chez CAD@work et auteur de Les familles de Revit pour le BIM aux éditions Eyrolles.
Béatrice, architecte chez Polantis, a rencontré Vincent Bleyenheuft sur BIM World Paris. La conversation très animée qui a suivie portait sur les objets BIM et plus particulièrement sur les attentes de leurs utilisateurs. Nous avons voulu poursuivre les échanges avec Vincent, au détour d’une interview.
Vincent, pouvez-vous nous parler de votre parcours, de votre formation jusqu’à votre poste actuel ?
J’ai été diplômé en 1997 de l’institut supérieur d’architecture « La Cambre » à Bruxelles. Je suis venu m’installer en France en 1998 et ai commencé à travailler dans une petite agence d’architecture de la région grenobloise jusqu’en 2000 avant d’intégrer Groupe 6 architectes (Grenoble) comme architecte freelance de 2000 à 2001. Soucieux de mon indépendance professionnelle j’ai créé mon agence d’architecte en 2001. Activité que j’exerce encore aujourd’hui avec une petite équipe pluridisciplinaire composées d’architectes, d’un ingénieur fluide et thermique et d’un conducteur de travaux. Nous sommes aujourd’hui 7 personnes à travailler sur des projets de logements collectifs, d’habitat participatif et d’EHPAD.
J’ai découvert le BIM sans le savoir aux alentours des années 2005, en découvrant le logiciel Revit. Ayant rapidement pris conscience des nouvelles possibilités qu’offrait l’outil pour mon agence, j’ai définitivement adopté Revit sur 100% de nos projets en 2007. La migration fut rapide, à l’époque nous n’étions que trois personnes …
Avec la maîtrise grandissante de la maquette, j’ai entrevu les potentialités en matière de collaboration pluridisciplinaire et ai commencé à essayer de convaincre certains partenaires – bureaux d’études fluides et structure – de faire la bascule sur Revit. C’était vers 2010. N’ayant pas réussi à convaincre à l’époque, l’idée d’intégrer des compétences d’ingénierie au cabinet fut de plus en plus prégnante. C’est ainsi qu’est venu nous rejoindre mon ingénieur fluides et thermique en 2012 puis une économiste de la construction en 2014.
Un petit peu plus tôt en 2013, j’ai commencé mes premières missions de BIM management de projets, de formation et de conseil pour Groupe 6 architectes. Enfin, actuellement, nous engageons nos premières missions d’AMO BIM au sein de CAD@Work pour divers Maitres d’Ouvrages publics.
Comment se déroule une “journée type” pour vous ?
Je n’ai pas de journée type ! En fait, j’en ai au minimum trois selon la « casquette » du jour et elles reflètent mes trois activités. Une journée type « architecte directeur d’agence », une autre « BIM Manager projet » et une autre « formateur perfectionnement et expertise Revit ».
Même quand je m’occupe de BIM management de projet, on ne peut pas vraiment parler de journée type. En fonction des tâches exercées cela peut ressembler à ceci mais sur une échelle plus grande que la journée :
- Analyse et vérification des maquettes de maîtrise d’œuvre. Cette seule tâche me prend au minimum 1 journée et peut s’étaler sur 2 jours en fonction de l’avancement des études et de la complexité du projet.
- Rédaction de rapport d’analyse
- Animation de réunions de revue de maquette avec les coordinateurs BIM. Une demi-journée généralement.
- Définition des informations des objets de la maquette, établissement des grilles de propriétés d’objets.
- Création et calage des fichiers de coordination (origines des projets).
- Rédaction et mise à jour des conventions.
- …
Quand je suis en formation, c’est très différent puisqu’elles s’étalent au minimum sur une journée. Dans ce cas, c’est souvent synonyme de déplacement en train, la veille (pour Paris par exemple) ou tôt le matin (Montpellier), journée de formation ensuite, pour finir par un voyage retour à la maison tard le soir.
J’affectionne tout particulièrement la formation et même si elle engendre beaucoup de déplacement, c’est une activité que je ne souhaite pas délaisser au profit d’activités plus « prestigieuses » telles que le conseil ou le management BIM.
Quels sont les projets BIM en cours que vous observez de près ?
Tous les projets de mon agence bien entendu.
En matière de projets « externes », je m’occupe actuellement du BIM Management (maîtrise d’œuvre) du projet de construction des nouvelles archives départementales de l’Isère. C’est un magnifique projet (environ 20 millions d’euros de travaux en marché public) qui se déroule avec des intervenants dont la maturité BIM est déjà bien élevée : Cr&on architecte mandataire, D3 architectes associés et Artelia pour toute l’ingénierie bâtiment.
Il s’agit d’un des tous premiers projets du conseil général de l’Isère en BIM. Peut être le premier qui sera livré ainsi.
La collaboration BIM est de niveau 3 entre les architectes associés et elle s’appuie sur un Revit server qui tourne chez Cr&on. Elle est de niveau 2 entre les architectes et Artelia. Nous sommes actuellement en cours de finalisation de la phase PRO.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous lancé dans l’écriture de Les familles de Revit pour le BIM ?
L’idée m’est venue en discutant avec Jonathan Renou juste après qu’il ait sorti son propre livre sur Revit et la structure. Eyrolles (l’éditeur) cherchait à publier des livres sur le sujet du BIM et de Revit notamment.
Quand j’ai pris contact avec Antoine Derouin (mon éditeur chez Eyroles), un livre « généraliste » était déjà en écriture sur Revit architecture (l’excellent livre de Julie Guezo et Pierre Navarra) et je lui ai donc plutôt proposé un livre spécialisé sur les familles de Revit. Je sentais que c’était un sujet qui pouvait intéresser beaucoup d’utilisateurs du logiciel. Aucun ouvrage de cette consistance, en Français, n’existait sur le sujet, peu d’ouvrage en Anglais par ailleurs et d’un autre côté, j’avais conscience de la grande frustration de beaucoup d’utilisateurs face à un tel manque de ressources bibliographiques.
Comment s’est déroulée la rédaction de l’ouvrage ? Quelles ont été vos sources ?
La rédaction du livre a été une grande et longue aventure ! Si je regarde en arrière, depuis la fin de la rédaction de mon manuscrit, cela a consisté pour moi en (cumulé) :
- 15 mois depuis les premières discussions avec mon éditeur, à partir desquels j’ai commencé à réfléchir sur le contenu, la structure, depuis que j’ai fait des recherches techniques
- 9 mois à partir desquels j’ai commencé la rédaction des premiers chapitres
- 6 mois d’intense écriture tous les soirs et tous les week-ends avec très très peu d’exceptions !
Enfin, entre le manuscrit et la sortie de l’ouvrage, ce fut encore trois mois, certes plus détendus, de relectures, de corrections et de choix de couverture.
Quelles sont les personnes qui vous ont accompagné dans la rédaction de l’ouvrage ?
Mes co-auteurs, Julien Blachère et Christophe Onraet qui ont rédigés respectivement les chapitres sur les objets de structure et les objets MEP. Je profite de cette interview pour les remercier d’avoir accepté de participer à ce challenge alors qu’ils étaient très fortement occupés professionnellement et personnellement.
Qu’est-ce qu’un bon objet BIM selon vous ?
Grande question et réponse simple : c’est un objet qui répond aux besoins des utilisateurs pour qui il est destiné et non un objet qui fait plaisir à son créateur, qu’il soit modeleur d’objet générique ou industriel de la construction.
Objets industriels ou objets génériques ? Votre utilisation de ces deux types d’objets diffère-t-elle ?
Oui très fortement. J’en parle dans mon livre d’ailleurs.
Moi qui suis architecte, j’aurai besoin principalement d’objets génériques, très souple d’utilisation et qui me permettent de faire face à beaucoup d’exigences diverses de projets. Les besoins d’objets industriels n’apparaitront pour moi qu’en phase d’exécution, voire jamais si je n’ai pas à suivre cette étape du projet.
La situation est d’ailleurs similaire pour les ingénieurs structure. La création d’objets génériques personnalisés ou l’utilisation de bons objets génériques disponibles sont donc des enjeux fondamentaux pour les architectes et les bureaux d’étude structure. Les ouvrages concernés par ces deux disciplines sont encore pour beaucoup, fabriqués sur site. Et même si les techniques de préfabrication se développent, il s’agit encore souvent de préfabrication à l’échelle d’un seul projet et donc unique.
Les ingénieurs en fluides (MEP) sont dans une situation différente car quasi 100% des ouvrages qui les concernent sont justement des objets fabriqués industriellement : appareils sanitaires, terminaux de chauffage, centrales d’air, … Et donc, même si en conception, il leur est souvent interdit de spécifier des marques (loi MOP), les objets qu’ils utilisent pourront être des objets issus des bibliothèques d’industriels.
Enfin, pour les entreprises qui devront réaliser les maquettes d’exécution et les DOE numériques, les objets industriels sont indispensables. Elles n’auront, elles, quasi aucun usage d’objets génériques.
Que pensez-vous de la bibliothèque de Polantis ?
La bibliothèque de Polantis est intéressante à plusieurs titres. Premièrement, c’est celle qui d’après moi contient le plus d’objet de produits disponibles en France. A quoi sert d’avoir des milliers de références de produits étrangers si je ne retrouve pas ceux que moi professionnel de la construction, je prescris ou installe dans mon pays. Par ailleurs, pour avoir utilisé des objets de diverses sources, ceux de Polantis sont de bonne qualité, sans « fautes » de modélisation. Enfin, vous êtes parmi les rares qui proposez des objets génériques, ce qui selon moi est important pour certains concepteurs.
Quel message aimeriez-vous faire passer aux industriels qui sont en amont de la chaîne de la construction ?
Mes dernières réponses illustrent déjà bien ma pensée à ce sujet. Je rajouterais ceci :
- Faites des objets « légers ». N’oubliez pas que vos objets vont s’additionner dans la maquette à des milliers d’autres objets. Une belle chaudière en 3D, avec tous les boulons, les fixations, les raccords ou encore, le nom de la marque en 3D, c’est joli en tant qu’objet unique mais cela devient vite l’enfer si tous les équipements sont ainsi modélisés dans la maquette.
- Pour les équipements techniques, n’oubliez pas de rajouter les encombrements de maintenance, très utiles et souvent absents.
- Pour les industriels d’un même secteur, essayez de vous mettre d’accord sur le nom des différentes propriétés de vos objets. Vous êtes généralement organisés en fédérations sectorielles, utilisez-les pour faire en sorte qu’il y ait un peu de constance sur le nom des propriétés identiques de différents produits. A ce sujet, j’espère que sortira bientôt une première version du dictionnaire des propriétés des produits BIM (PPBIM) qui permettrait enfin une première uniformisation dans ce domaine.
- Si vous publiez des objets sur des plateformes françaises, traduisez les propriétés de vos objets. Comprendre des propriétés et/ou leur valeurs en anglais, ça va encore mais en allemand ou en suédois, c’est plus compliqué.
- Ne pas oublier la représentation 2D (surtout en plans) des objets 3D.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, beaucoup de BIM manager sont amenés à presque interdire l’usage d’objets industriels dans les maquettes de conception, tant ils génèrent des problèmes dans les différents processus BIM. En respectant ces quelques consignes de bon sens, cette tendance pourrait s’inverser.
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